En Inde, l’autorité des Gandhi est contestée au sein du Parti du Congrès

Article de Sophie Landrin dans LE MONDE 

Sonia Gandhi, 74 ans, la veuve de Rajiv Gandhi, l’ancien premier ministre assassiné en 1991, va continuer à assurer la présidence du Congrès, mais un nouveau chef devra être élu dans les six prochains mois. Le plus vieux parti de l’Inde, qui dirigea le pays à partir de l’indépendance et durant des décennies, vient de connaître une énième crise, révélatrice de l’ambivalence des membres du parti à l’égard de la famille Gandhi, tiraillés entre leur volonté de capitaliser sur ce nom populaire et prestigieux et celle de s’émanciper.

Dimanche, le quotidien Indian Express avait fait fuiter une lettre signée par 23 dirigeants du parti et adressée le 7 août à Sonia Gandhi, demandant des réformes radicales, notamment un « leadership à plein temps et efficace », « visible » et « actif sur le terrain » et la mise en place d’une direction plus collective. Les auteurs avaient souligné la perte de confiance des jeunes dans le parti, privé de leader. Sonia Gandhi a alors proposé d’être relevée de ses fonctions. Après une réunion de sept heures en vidéoconférence, les dirigeants ont finalement prolongé, lundi, son intérim.

Un communiqué publié à l’issue de la réunion indique que « personne ne sera ou ne peut être autorisé à saper ou à affaiblir le parti et sa direction » et affirme que « la responsabilité de chaque travailleur et dirigeant du Congrès aujourd’hui est de combattre l’assaut pernicieux du gouvernement Modi contre la démocratie, le pluralisme et la diversité de l’Inde ».

En août 2019, malgré une santé fragile, Sonia Gandhi avait accepté d’assurer l’intérim après la démission de son fils Rahul. Celui-ci avait décidé de se mettre en retrait après son humiliante défaite face à Narendra Modi aux élections législatives. Déjà après la mort de son mari, Sonia Gandhi avait repris en 1998 les rênes du parti et l’avait mené à la victoire en 2004 et 2009. Pressentie pour devenir première ministre, elle avait dû renoncer face aux coups portés par le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste, sur ses origines italiennes. Manmohan Singh avait accédé au poste de premier ministre et avait formé pendant dix ans un véritable tandem avec Sonia Gandhi, présidente du Congrès.

Rahul Gandhi, candidat en 2024 ?

L’arrivée de Narendra Modi au pouvoir, qui n’a de cesse de ternir l’héritage de la dynastie Nehru-Gandhi et de ramener Sonia Gandhi à un statut d’étrangère, a tout changé. La presse indienne a l’habitude de décrire le Congrès « en état de coma profond ». En fait, le principal parti d’opposition est victime à la fois d’une crise de leadership et d’organisation et des assauts peu loyaux du BJP, la formation du premier ministre, Narendra Modi. Le BJP dispose de moyens financiers considérables et disproportionnés, de la puissance des réseaux sociaux et de l’influence sur les médias. Il a dépensé dans la dernière campagne de Narendra Modi, en avril 2019, plus que tous les autres concurrents.

Même lorsque le Congrès parvient à gagner dans les urnes des élections régionales, il n’est pas à l’abri de perdre le pouvoir quelques mois plus tard. Le BJP est régulièrement accusé de retourner des députés en promettant argent, postes ou effacement de procédures judiciaires. Quatre Etats gagnés (Karnataka, Madhya Pradesh, Goa, Manipur) par le Congrès lui ont ainsi échappé. La dernière manœuvre opérée par le parti de Modi, en août, pour faire tomber le gouvernement du Rajasthan a finalement échoué.

Sous l’emprise de la famille, le Congrès est affaibli par l’incertitude que laisse planer Rahul Gandhi. A 50 ans, le fils désigné pour entretenir l’héritage politique et tenter de reconquérir le pouvoir n’a toujours pas clairement exprimé ses intentions pour l’avenir. Reprendra-t-il la présidence du parti ? Sera-t-il de nouveau candidat en 2024 ? Accusé de dilettantisme, de manque d’investissement personnel et de charisme, le député a gagné en sérieux ces dernières semaines et étrille, chaque jour, Modi pour sa gestion calamiteuse du coronavirus, la crise au Ladakh avec la Chine et l’effondrement de l’économie. S’il est en retrait, c’est lui qui a approuvé la plupart des nominations aux postes-clés du Congrès ces derniers mois et le quadra n’a guerre l’intention de faire place à la vieille garde, bien représentée parmi les signataires de la lettre.

Sa sœur Priyanka, que certains imaginent en recours, sera candidate aux élections régionales dans l’Uttar Pradesh en 2022, face au chef de gouvernement sortant, Yogi Adityanath, un moine nationaliste, extrémiste, proche de Narendra Modi.

Depuis plusieurs mois, des voix, parmi les intellectuels, s’élèvent pour demander au Congrès de s’émanciper des Gandhi et d’élire un président n’appartenant pas à la dynastie. Le spécialiste de l’Inde Christophe Jaffrelot estime au contraire que le Congrès, seule alternative au BJP, ne peut pas « survivre » sans les Gandhi et tomberait immédiatement dans un factionnalisme fatal.